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L’organisation du futur : du syndrome du scarabée à la stratégie du dauphin

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Comment les comportements animaliers nous éclairent-ils sur les comportements humains dans les organisations ? Peuvent-ils nous inspirer pour les faire progresser ?

Cette chronique propose une réflexion à caractère métaphorique qui illustre à la fois des comportements particuliers individuels et aussi collectifs, dans leurs pires impacts et dans leurs vrais potentiels. Le titre de cet article, à la fois évocateur et mystérieux, va nous permettre d’utiliser un langage analogique pour mieux décrire certaines réalités souvent observées, et en même temps peu évoquées, sous cet angle.

Pour commencer, qu’est-ce le syndrome du scarabée ?

Le syndrome du scarabée est un concept issu d’une étude scientifique menée par le zoologiste Thomas Park en 1948 sur un groupe de scarabées. Les scientifiques en charge de cette démarche ont observé que lorsque deux sortes de scarabées se retrouvent dans un écosystème, des scarabées d’une même souche ont tendance à privilégier et favoriser leurs congénères, leurs semblables et ce, jusqu’à la disparition des autres souches (« Interspecies Competition in Populations of Trilobium confusum Duval and Trilobium castaneum Herbst », de Thomas Park, Wiley, 1948).

Les économistes américains George Akerlof et Pascal Michaillat ont appliqué la même méthode à d’autres domaines, afin de corroborer l’hypothèse que les comportements observés chez les scarabées pouvaient également se retrouver dans l’espèce humaine. Leur étude a démontré que le principe était transposable, qu’il pouvait être utilisé dans divers domaines, tels que les phénomènes organisationnels. Les conclusions montrent qu’il y a souvent dans une organisation un phénomène d’homophilie (« Beetles: Biased Promotions and Persistence of False Belief », National Bureau of Economic Research, 2017).

Quels sont les impacts de ces stratégies à grande échelle ?

L’objectif n’est pas ici d’inventer artificiellement le recours à la diversité pour échapper au biais du syndrome, mais plutôt de voir les effets possibles d’une hyper homogénéisation des profils au sein d’une même équipe, ou d’une même entreprise.

Ce que peut impliquer une telle approche dans une organisation a des effets multiples :

  • l’absence d’un focus sur la véritable valorisation des compétences ;
  • une vision totalement autocentrée des profils et des talents ;
  • une difficulté éventuelle à se repositionner en cas de changement global et total de cadre de référence ;
  • un niveau très faible de tolérance à la différence ;
  • un possible aveuglement face au danger venant de l’extérieur ;
  • une faible flexibilité face à l’inattendu ;
  • Une consanguinité dommageable à la richesse et à la diversité des talents, qui peut aussi potentiellement favoriser la perte de capacités conceptuelles et théoriques.

Ce qui peut être une force dans cette homogénéisation des profils et aussi des personnalités, réside dans un fort sentiment d’appartenance, accompagné d’un sentiment de solidité à toute épreuve, voire d’invulnérabilité.

Dans ce cas de figure on a plutôt un profil d’équipe « commando » extrêmement sûre d’elle et de sa légitimité. Avec les défauts de la « sur-confiance », c’est-à-dire une méfiance face au changement, une faible vigilance face aux transformations en œuvre autour d’elle, et donc une très faible ouverture à la différence et une faible curiosité.

Nous allons poursuivre la référence au règne animal, en nous intéressant maintenant à une approche différente en termes de liens sociaux, à travers la dynamique d’une autre espèce, celle du dauphin, qui illustre à l’opposé des comportements sociaux favorables à une autre forme de l’intelligence collective.

Les dauphins sont des animaux sociaux. Ils vivent souvent en groupes, composés de six individus environ, mais aussi de groupes plus nombreux pouvant aller jusqu’à 20 sujets. Dans ces groupes on peut aussi trouver des individus solitaires plus généralement des mâles. La plupart des groupes sont composés de femelles et de petits.

Quelques grands dauphins vivent également en compagnie d’autres espèces de cétacés. Des recherches scientifiques ont montré notamment en Australie que les femelles forment des alliances directement ou à travers des associations mutuelles au sein d’une structure sociale nommée fission-fusion. Cette composition peut demeurer stable durant plusieurs années. Les femelles forment ces associations pour protéger leurs petits des prédateurs.

D’autres recherches notamment effectuées en Écosse révèlent que les mâles peuvent aussi former des associations durables pendant des dizaines d’années. Les membres de ces associations parviennent à développer des formes de synchronisation de leur comportement, comme la respiration, les sauts avec redressement, et mouvements de retombées dans l’eau.

Le Dolphin Research Institute a démontré de quelle façon la structure sociale et le besoin de collaboration des grands dauphins s’expriment au travers de leurs différentes formes de vocalisations. Les dauphins sont des citoyens de l’océan. Ils sont extrêmement intelligents. Le cerveau du dauphin est suffisamment gros, un peu plus gros que le cerveau humain moyen et les zones d’association de son cortex, consacrées à l’abstraction ou à la pensée conceptuelle, sont plus importantes que les nôtres.

Dans la nature, le dauphin est aussi un prédateur, il ne va pas attaquer de front, avec une mâchoire grande ouverte, il va plutôt tourner autour de son agresseur potentiel et lui asséner des coups à des endroits très précis. Sans vouloir d’abord tuer, il sait démontrer sa capacité à tuer, mais il peut si nécessaire accentuer ses attaques de plus en plus fort, comme avec les requins qu’il peut tuer en leur défonçant la cage thoracique.

La stratégie du dauphin est aussi un ouvrage, dans lequel les chercheurs en leadership Dudley Lynch et Paul Kordis présentent trois visions différentes du monde de l’entreprise et des affaires (« La stratégie du dauphin – Appliquez la stratégie du dauphin et récoltez le succès, jour après jour », Les Editions de l’Homme, 2015). Même si cet ouvrage n’est pas récent, son approche prend tout son sens.

Dans le grand bassin de l’humanité, selon ces auteurs, cohabitent ainsi trois espèces animales : les carpes, les requins, et les dauphins.

La carpe

Elle ne cherche pas à gagner. Les possibles évènements traumatisants et les expériences dramatiques qu’elle a pu être amenée à vivre lui ont fait intégrer qu’elle ne peut pas facilement gagner, ni dans le présent, ni dans le futur… Sa stratégie se résume la plupart du temps à ne pas perdre. Face à un danger, elle s’enfuit ou reste figée dans l’inaction. Elles ont besoin d’être rassurées. Evidemment, les carpes se font souvent dévorer…Les carpes n’aiment pas choisir et lorsqu’elles doivent le faire, elles choisissent généralement la soumission, ou même le sacrifice.

Elles utilisent 2 des 3 réactions de notre héritage primitif : Fuite ou immobilité, et jamais le combat (ce qui peut s’avérer une bonne stratégie pour se préserver de façon éphémère des prédateurs. La carpe peut être éclairée, elle croit à la bienveillance et fait preuve d’un altruisme idéalisé. Elle peut vouloir « sauver les autres ».

Le requin

Les requins dans les océans, préfèrent souvent s’attaquer à des proies plus petites qu’eux, comme les jeunes dauphins. Les grands requins se nourrissent aussi des plus petits de leurs congénères, l’habitude de la ségrégation par taille est une dimension vitale pour leur survie.

Les requins sont eux aussi capables de tisser des liens sociaux avec d’autres individus, et ce, pendant des années, selon M. Papastamatiou, explorateur de National Geographic. Certaines espèces, telles que le requin-bouledogue ou le requin bordé, se rassemblent par douzaines lorsque les poissons sont en grand nombre et semblent parfois encercler leurs proies.

Dans le cadre professionnel les requins veulent gagner à tout prix… Même au prix de leur propre vie. Les requins ne cherchent pas uniquement l’abondance, mais plus d’abondance que le congénère. Le requin est souvent pressé d’aboutir. Il vit pour être respecté, admiré et redouté, et c’est le respect qu’il inspire aux autres qui lui permet de se respecter lui-même. Son but ultime est de se différencier par la possession et le sentiment de puissance. Le requin recherche la victoire personnelle.

Le dauphin

Les dauphins savent développer des stratégies de créativité, ils peuvent être aussi redoutables que les requins, ils savent développer des stratégies d’adaptation, ils savent nager dans différentes eaux.

Le dauphin se comportera parfois en carpe, parfois en requin, selon la situation. Mais le dauphin agit dans un but précis, en pleine connaissance de cause, en espérant mener les choses vers l’amélioration, l’innovation et l’évolution en repoussant toujours les limites.

S’il faut protéger ses congénères ou toute autre être qu’il sent menacé, le dauphin sait aussi attaquer. Le dauphin mettra en place une stratégie, et saura se servir de son expérience pour optimiser ses chances de réussite.

Si le dauphin juge sa position indéfendable, ou risquée pour son groupe, il fera quelques tentatives d’intimidation pour éviter un combat perdu et se repliera si nécessaire ; fuir est parfois la meilleure stratégie pour rester en vie, se jeter dans une bataille perdue d’avance ne fait ni remporter une victoire et encore moins la guerre.

Fuir, c’est aussi prendre le recul nécessaire pour préparer une stratégie plus adaptée, plus fine et engendrant moins de tensions, dans le monde des affaires et de l’entreprise plus largement, sans parler de fuite, un rempli stratégique, permettant de regarder le « champ de bataille » avec plus de hauteur, fait gagner du temps, de l’énergie et permet de rester finalement efficace. Le dauphin qui est un mammifère n’est pas un grand adepte de l’immobilité, mais il peut se mettre en retrait, et observer un groupe d’assaillants, pour mieux analyser quelle stratégie adopter dans telle ou telle situation.

Pour le dauphin, l’immobilité ne consiste pas à se cacher, mais à prendre le temps nécessaire avant d’agir ou de réagir. Il reviendra ensuite avec des propositions, des arguments plus adaptés à la situation, ce qui est une bonne approche pour conserver le dialogue ouvert et favoriser la négociation, la patience et la sérénité étant des atouts pas suffisamment mobilisés.

Dans l’environnement humain, les « dauphins » sont aussi souvent des personnes « d’exception » qui se sont données la mission de porter des projets différents, atypiques, ils développent des formes de pensée innovantes, en dehors des cadres conventionnels.

Ils font preuve de beaucoup d’enthousiasme qu’ils savent faire partager, et leur volonté de créer des liens, des alliances, et des équipes est très fédérateur, mais ils peuvent être jugés dérangeants et trouvent donc souvent des oppositions en interne, voire l’obstruction, et aussi le rejet.

Les organisations ont grand besoin de sortir des schémas préétablis et parfois trop guidés par la pensée et les décisions du type « scarabée », refermées sur elles-mêmes, leurs approches autocentrées, et s’ouvrir aux différentes stratégies du « dauphin ». La compréhension de nouvelles modalités de résolutions des situations complexes est un atout pour faire face aux multiples enjeux de la période que nous traversons. Sortir des exclusions et des clivages persistants à la façon des dauphins ouvre de nouvelles voies pour développer des projets individuels ou collectifs avec de nouveaux réflexes dans les modes de pensée et d’actions.

Dans un environnement en fortes tensions de toutes sortes, la « dolphin attitude » représente une option de transformation de la culture sociale des différentes organisations pour faire face aux enjeux économiques et aux responsabilités sociales et environnementales actuels et pour le futur.

Par Marie-Josée Bernard

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