Si quasiment plus personne ne remet en cause la nécessité de la transition énergétique, l’application de mesures lourdes de conséquences, en l’espace de quelques années seulement, continue à faire débat : est-il aussi facilement possible de changer de modèle, et au sens large, de construire un nouveau monde, aussi bien énergétique qu’économique, en l’espace de moins de 20 ans ? Nous avons posé la question à un spécialiste de l’économie.
Alors que l’ONU parle d’effondrement climatique, l’Agence Internationale de l’Energie demande aux pays d’avancer leur calendrier environnemental : les objectifs fixés en matière d’émissions de gaz à effet de serre doivent être atteints, entre 2030 et 2050 au plus tard, c’est-à-dire, presque demain. Si les grandes puissances ne doublent pas leurs efforts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le seuil critique des +1,5 °C de réchauffement climatique sera atteint d’ici 2040 selon le dernier rapport du Giec.
La trajectoire politique actuelle manque de réalisme et de coopération
La problématique économique d’une telle révolution inquiète, et à juste titre. Car nous sommes loin d’être prêts, estime Luc Désiré Omgba, professeur de sciences économiques à l’université de Lorraine et chercheur au Bureau d’Économie Théorique et Appliquée (Beta) : « La part des énergies fossiles dans le bouquet énergétique est de 82 %. On ne peut donc pas passer du jour au lendemain à une transition totale vers des énergies durables. Cela demande un étalement, mais aussi un diagnostic de la période présente. La demande de pétrole est appelée à augmenter au niveau mondial, de même que celle du charbon, la source d’énergie la plus polluante.
On pensait avoir connu le pic de la demande de charbon en 2014, et on se rend compte qu’il y a une nouvelle augmentation. Cela fait craindre que la trajectoire présente n’est pas réaliste par rapport à la situation actuelle. Du coup, on se demande si les discours ne vont pas changer, ou bien si les mêmes discours sont maintenus, si l’on ne va pas faire autre chose que ce qui est prévu, sans rien dire, avec de nouveaux investissements sur les énergies fossiles ».
Investissements et infrastructures sont-ils à la hauteur des enjeux ?
Derrière ce constat plutôt alarmant des mesures politiques liées à la transition énergétique, des faits qui doivent interroger : « La démographie augmente, donc la demande augmente. Mais la politique a aussi loupé un certain nombre de choses ces dernières années : il n’y a pas assez d’investissements sur les énergies renouvelables et les infrastructures ne sont pas au niveau. Le renouvelable progresse, mais le non-renouvelable progresse aussi ! »
LES PAYS EXPORTATEURS DE PÉTROLE FORMENT DES ALLIANCES, CE QUI LES REND PUISSANTS EN TERMES DE DÉCISIONS MONDIALES, AU DÉTRIMENT DES AUTRES PAYS COMME LA FRANCE. © GENERATORPOWERPRODUCTS, PIXABAY
Dans l’optique de la création de ce nouveau monde économique, tous les pays ne jouent pas le même rôle : « La France et les pays de l’Union européenne sont des consommateurs d’énergies fossiles, mais il y a aussi des pays exportateurs : tout le monde joue sa propre partition et il n’y a pas assez de coopération ». Pour certains pays, la transition sera longue et compliquée : « L’Arabie Saoudite tire 70 % de ses revenus d’exportation des énergies fossiles, et c’est quasiment 100 % pour l’Irak. On remarque, ces derniers temps que, dès que le prix du pétrole baisse, l’Arabie saoudite réduit sa production et les prix se remettent alors à augmenter. Ces pays exportateurs forment des alliances, ce qui les rend puissants et contraignants, c’est une situation inquiétante telle celle du « Dilemme du Prisonnier » dont nous connaissons l’issue en l’absence de coopération », précise le chercheur.
“Tout le monde joue sa propre partition et il n’y a pas assez de coopération”
Malgré ses bonnes intentions, la France ne peut pas jouer de manière isolée
À quel point les mesures très ambitieuses pour les pays les plus pollueurs peuvent-elles bouleverser l’économie mondiale, et notamment celle de la France ? « La France met de bonnes choses en place, mais elle ne peut pas jouer de manière isolée. Les autres pays vont continuer et seront alors plus compétitifs. Dans une situation comme celle-ci, la France ne peut pas s’en sortir seule. La politique doit être en adéquation avec la réalité mondiale », explique Luc Désiré Omgba.
Car malgré toutes les critiques que les Français aiment formuler à l’égard de leur propre pays, et souvent à juste titre, « la France figure dans le Top 10 des pays qui font le plus d’efforts pour la transition énergétique, dans un classement du Forum économique mondial qui comporte 115 pays ». En dépit de cette démarche continue en faveur des énergies renouvelables, 43 % de l’énergie consommée par les Français provient du pétrole et du gaz. « Se priver de 43 %, ça demande du temps », précise le chercheur.
MALGRÉ SES BONNES INTENTIONS ET SES ACTIONS EN RAPPORT AVEC LES ÉNERGIES RENOUVELABLES, LA FRANCE NE PEUT TRAVAILLER DE MANIÈRE ISOLÉE DANS LE MONDE. © MRGANSO, PIXABAY
Les pays les plus puissants déterminent la composition du bouquet énergétique
Cependant, le gros problème auquel le monde est de plus en plus confronté, c’est le manque de coopération internationale, selon Luc Désiré Omgba. « Lors des réunions à l’ONU, chacun y va de son discours, on assiste de plus en plus à des blocages de chaque côté. Ce n’est plus un espace de discussion, idem pour les COP dont la prochaine COP 28 se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre. Le prix du pétrole est déterminé par l’Arabie saoudite, des pays comme la Chine et l’Inde ont plus de poids et déterminent le prix plafond, et derrière l’Union européenne et la France ne font qu’assister à la discussion. Le prix est fixé, et la France n’y peut pas grand-chose » et à partir de là, est également fixé ce qui compose le bouquet énergétique. La conséquence directe de la composition de ce bouquet énergétique, c’est évidemment l’impact sur le climat par la plus ou moins grande présence des énergies fossiles, et des énergies renouvelables.
In fine, l’économie mondiale ne sera prête à affronter la transition énergétique que si une coopération mondiale se met en place. Si ce n’est pas le cas, les pays qui font le plus d’efforts risquent d’être désavantagés, tout en laissant les plus puissants continuer à vendre et acheter des énergies fossiles, donc à polluer, et par extension, à réchauffer la Planète.
Commentaires