Le métavers est un territoire vierge à explorer pour les entreprises qui sont nombreuses à s’en emparer. Pour autant, il ne concerne pour le moment qu’une infime partie de la population. Avant de parvenir à une adoption massive, le métavers va devoir relever plusieurs défis de taille.
Le terme métavers n’est pas nouveau, il est apparu pour la première fois en 1992 dans le roman « Snow Crash » (« Le Samouraï virtuel » en français). Mais jusqu’à récemment, il n’existait que dans l’imagination de quelques auteurs de science-fiction. Certes, certains jeux vidéo s’en approchaient. On pense notamment à « Second Life », « Les Sims » ou « Minecraft » qui permettaient déjà à leurs utilisateurs de mener des vies parallèles dans des mondes virtuels. Mais contrairement au métavers, ces expériences n’avaient aucun impact dans le monde réel et ne prétendaient pas remplacer tout un pan de l’Internet.
Il a fallu attendre l’apparition de la technologie blockchain pour voir un métavers proche des fantasmes qu’on s’en faisait : ouvert, démocratique, collaboratif, avec la possibilité de détenir des biens numériques, d’échanger de la monnaie virtuelle utilisable dans le monde réel… Mais on est encore loin d’une démocratisation, car le métavers se résume pour l’instant à un vaste champ d’expérimentation. Certaines initiatives ont permis aux plus curieux d’obtenir un avant-goût des possibilités du métavers, mais cela reste pour le moment de l’ordre du gadget ou de la stratégie marketing bien ficelée. On attend encore l’usage révolutionnaire qui poussera le grand public à entrer dans le métavers, mais surtout à y revenir régulièrement.
Le défi de l’attractivité
Le premier obstacle à surmonter pour que le métavers devienne aussi populaire que Twitter, Instagram ou Tik Tok, c’est celui de l’attractivité. Nombreuses sont les marques et les célébrités à multiplier les initiatives pour attirer les gens dans le métavers, avec le plus souvent des récompenses à la clé. On pense notamment à Leader Price, qui fait gagner des bons d’achat à ses clients dans The Sandbox. Mais pour le moment, cela n’est pas suffisant pour attirer durablement le grand public, comme le souligne Geoffroy Seghetti, Directeur Marketing & Communication Europe de l’Ouest chez Mastercard : « Le métavers est un outil excitant d’un point de vue marketing, en termes de communication avec les consommateurs, mais on ne sait pas encore vraiment comment les individus vont s’en emparer. Les usages restent à inventer pour les entreprises comme les marques. »
Pour Lindsey McInerney, cofondatrice de la société de divertissement Web3 « Sixth Wall » avec l’actrice Mila Kunis, le meilleur moyen de convertir les gens au métavers est de leur proposer des expériences amusantes, qui repoussent les limites du divertissement, comme elle l’a expliqué lors du dernier Mastercard Innovation Forum, organisé le 8 décembre au Stade de France : « Je pense que c’est le divertissement qui attirera le premier milliard d’utilisateurs dans le métavers. C’était la même chose au début d’Internet, on testait ce nouvel outil pour s’amuser. Puis, cela a évolué. Les contenus sont devenus de plus en plus intéressants, de plus en plus riches. »
Aujourd’hui, même les plus réticents reconnaissent l’utilité d’Internet. En alliant travail et patience, le métavers parviendra probablement lui aussi à se rendre indispensable. D’ailleurs, on voit déjà émerger des usages prometteurs, notamment pour les entreprises qui y voient une solution pour régler certains problèmes du monde réel. Du point de vue de la création par exemple, le métavers facilite la collaboration de manière plus décentralisée. On pourrait ainsi imaginer plusieurs personnes travaillant simultanément sur la maquette d’un projet d’immeuble dans le métavers – en discutant et en apportant des modifications en temps réel – alors qu’elles sont en réalité situées sur plusieurs continents.
Le problème de l’inclusion
Imaginons un instant que le métavers se rende progressivement incontournable grâce à des usages qui font vraiment la différence. Pour que les utilisateurs l’adoptent en masse, il faudrait également faciliter l’accès à ces mondes virtuels.
Contrairement à certaines idées reçues, le métavers devient de plus en plus accessible, avec de nombreuses solutions ne nécessitant ni le port d’un casque de réalité virtuelle, ni l’utilisation de cryptomonnaies. Pour autant, il reste énormément d’obstacles à surmonter en termes d’inclusion, au premier rang desquels on trouve les freins technologiques, une expérience utilisateur complexe et un manque de confiance du grand public.
Si vous souhaitez entrer dans The Sandbox ou Decentraland, on vous conseille de posséder un ordinateur puissant et une connexion Internet rapide, sinon l’expérience risque d’être laborieuse. Et pour jouir pleinement des opportunités offertes par ces mondes virtuels, il vous faudra également posséder un portefeuille numérique pour stocker vos actifs, qu’il s’agisse de cryptomonnaies ou de jetons non fongibles (NFTs). Ceux qui jouent aux jeux vidéo devraient s’en sortir sans trop d’efforts, car les mécanismes du métavers s’en inspirent fortement, mais les autres risquent d’être un peu perdus.
Le métavers reste un mystère pour beaucoup, mais on constate qu’il devient de plus en plus accessible au fil des évolutions technologiques et des efforts fournis par les acteurs du secteur en termes d’expérience utilisateur. On note également des initiatives venues du monde de la finance traditionnelle pour faciliter l’accès à ce nouvel Eldorado numérique. C’est notamment le cas de Mastercard, qui a déposé il y a quelques mois plusieurs demandes de marques pour permettre les paiements par carte dans le métavers.
Le géant du paiement s’efforce également d’accompagner les entreprises pour qu’elles appréhendent au mieux le potentiel de ces nouveaux territoires numériques. C’est pourquoi Mastercard France a choisi de se concentrer sur le métavers, le Web3, les NFTs, les cryptomonnaies et tout ce qui touche à la technologie blockchain lors de son dernier Forum de l’Innovation, qui réunissait des représentants de nombreux acteurs incontournables en la matière.
L’absence d’interopérabilité
Pour que le Web3 atteigne son plein potentiel, on devrait pouvoir passer d’un métavers à l’autre de manière naturelle. Or pour le moment, ce n’est pas le cas. Les projets se multiplient, mais chacun de ces mondes virtuels reste isolé des autres.
Lors de la conférence Global Supertrends, qui s’est tenue en août 2022, la sœur du fondateur de Facebook Randi Zuckerberg a tenu à souligner cet écueil : « Pour l’instant, je suis sur Decentraland, mon fils sur Roblox, et mon autre fils sur Fortnite. C’est génial, nous sommes tous dans le métavers. [Mais] nous ne pouvons pas interagir. ».
Entre les jeux vidéo qui prennent le virage du métavers (Fortnite, Roblox…), les mondes virtuels décentralisés basés sur la technologie blockchain (The Sandbox, Decentraland, Otherside, Cryptovoxels…), les solutions centralisées développées par les GAFA (Horizon Worlds, Mesh), chacun peut vivre le métavers à sa façon, de façon totalement indépendante.
Pour que le métavers devienne un nouvel Internet, des efforts devront être faits pour connecter, pour rendre compatibles ces différentes plateformes. C’est la mission que s’est donnée le Metaverse Standards Forum, qui cherche à encourager l’adoption de standards d’interopérabilité pour un métavers unique, ouvert et inclusif. Lancée en juin 2022 par 35 membres fondateurs, dont Microsoft, Meta, Nvidia, Adobe, Alibaba ou Epic Games, cette initiative regroupe aujourd’hui plus de 1800 entreprises actives sur ce secteur.
L’obstacle de la légalité
Comme pour toutes les innovations, la démocratisation du métavers va forcément avoir des implications sur le plan légal. A priori, la plupart des règles applicables au numérique et aux réseaux sociaux devraient faire l’affaire. On l’a vu notamment en septembre 2022 avec un Sud-Coréen condamné à quatre ans de prison pour abus sexuels dans le métavers. Mais au fil de son évolution, la régulation du métavers demandera forcément des adaptations d’un point de vue réglementaire. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné, il y a quelques mois, la Mission exploratoire sur les métavers dans un rapport commandé par le gouvernement français.
Le métavers remet en question de nombreux pans du droit du travail, du Code de la consommation, du Code de commerce. En l’absence de jurisprudence et de textes adaptés, il est parfois difficile de déterminer la loi applicable à certaines situations inédites qui ne peuvent survenir que dans ces nouveaux territoires numériques. Et cela ne risque pas de s’arranger avec les nombreux développements, les nouveaux usages à venir.
Ce flou réglementaire constitue un obstacle infranchissable pour de nombreuses marques et entreprises, comme les PME, qui n’ont pas les moyens de se lancer dans des batailles judiciaires de longue haleine. Pour autant, les fraudes régulières commises au sein de cet écosystème et la récente chute de FTX pourraient aider à faire évoluer la réglementation. Cela devrait, dans un souci de protection des investisseurs, inciter les régulateurs à définir au plus vite un cadre clair en matière de blockchain.
La question de la durabilité
Avec l’accélération du changement climatique, la dimension environnementale prend une place de plus en plus importante dans les décisions des entreprises comme dans celles des consommateurs. Or, le bilan carbone des technologies issues de la blockchain étant régulièrement pointé du doigt, le métavers va devoir se montrer ultra-responsable pour exister dans la durée.
Contrairement aux idées reçues, l’impact écologique du métavers n’a rien de catastrophique. Selon certains acteurs de l’écosystème, il pourrait même constituer une solution pour imaginer un monde plus vert. C’est ce qu’a souligné Sébastien Borget, Directeur des opérations et cofondateur de The Sandbox lors d’une table ronde organisée dans le cadre du Mastercard Innovation Forum 2022. Il a invité l’audience à réfléchir à ce qui pollue le plus entre le commerce de vêtements physiques et celui des « wearables », vendus sous forme de NFTs pour habiller son avatar dans le métavers… En réalité, il s’agit d’une question complexe pour laquelle il n’y a pas vraiment de réponse. Et de toute façon, démocratisation du métavers ou non, il faudra bien continuer à s’habiller au quotidien.
Ce que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que le métavers aura un impact carbone significatif. Entre la conception de nouveaux éléments matériels pour en améliorer l’accès (ordinateurs, smartphones, casques de réalité virtuelle…), la consommation d’énergie des serveurs nécessaire à le faire tourner et les échanges de biens numériques qui s’y opèrent, cet univers parallèle ne fait pas vraiment dans la sobriété énergétique. On peut quand même se rassurer en constatant que la question écologique est au centre des préoccupations des bâtisseurs du métavers. Espérons qu’au fil des années, cet outil gagne en sobriété en même temps qu’en maturité.
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