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Pourquoi nous devons changer de perspective sur les insectes

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Les insectes nous ont précédés depuis des millénaires, mais notre connaissance de ce monde, qui représente près de la moitié des êtres vivants, reste infime, car ils sont très difficiles à observer et à comptabiliser avec précision. Beaucoup d’entre nous s’en méfient, obsédés qu’ils sont par les insectes qu’ils qualifient de « nuisibles » et tentent de les éradiquer par tous les moyens, de plus en plus efficaces, et qui font énormément de dégâts collatéraux. Cette première partie est le début d’une trilogie ; le volet 2 évoquera les insectes qui sont en voie de disparition et les conséquences dramatiques qui vont s’en suivre ; le volet 3 évoquera l’entomoculture, c’est-à-dire l’élevage d’insectes pour les consommer comme aliments.

 

Concrètement, comment fait-on pour observer et compter les insectes ?

Pour piéger les insectes, les étudier et les dénombrer, on a quand même développé d’autres méthodes que le simple filet à papillons. Par exemple :

  • Les pièges à insectes peuvent être installés à différents endroits, tels que les champs, les forêts, les zones urbaines, etc., et à différentes hauteurs ou profondeurs. Par exemple, les pièges à lumière la nuit.
  • Les transects, lignes rectilignes dans un habitat donné qui sont parcourues à pied pour compter les insectes observés. Cette méthode permet de suivre l’évolution des populations d’insectes à travers le temps.

Les méthodes de « capture-mark-recapture », qui consistent à marquer certains individus d’une population d’insectes, puis à les relâcher, ensuite, on capture une deuxième fois des individus de cette population et on note combien ont déjà été marqués lors de la première capture.

Notons, si cela peut nous rassurer, que les insectes sont certes fort nombreux, mais légers. L’ensemble des arthropodes ne « pèserait » en poids carbone, « que » 17 fois l’humanité, ce qui représente quand même la moitié de la masse de tous les animaux terrestres et marins. On ne peut tout simplement pas les ignorer. Même si certains ne mesurent qu’un dixième de millimètre de long !

LES COLLECTIONS D’INSECTES ONT L’AIR FASTIDIEUSES ET EXHAUSTIVES, ET SERVENT À MIEUX IDENTIFIER LES INSECTES CAPTURÉS, MAIS ELLES NE REPRÉSENTENT QU’UNE PETITE PARTIE DE LA DIVERSITÉ DE LA NATURE. © DIOGO VERISSIMO, WIKIMEDIA COMMONS, CC BY-SA 4.0

  • Les observations visuelles à l’œil nu dans leur environnement naturel. Une méthode plus subjective et moins précise, mais qui peut être amplifiée par des programmes de « sciences participatives », qui permettent aux simples citoyens motivés de signaler les observations d’insectes qu’ils ont faites dans leur environnement.
  • L’analyse de données historiques telles que les collections de musées, les publications scientifiques ou les observations de naturalistes, pour déterminer si la diversité et la quantité d’insectes ont changé au fil du temps.
  • Les études expérimentales pour évaluer les effets sur les populations d’insectes des changements environnementaux, tels que la pollution, la fragmentation des habitats ou le changement climatique. Par exemple, on peut revenir plusieurs années récolter les insectes pollinisateurs sur un même champ ou une même colline, pour voir comment évoluent leurs relations avec les plantes et tenter de comprendre pourquoi.

Pour des raisons pratiques ou de budget, on peut mieux mesurer les insectes volants que les terrestres, car ils sont plus faciles à capturer. Et les insectes des champs plutôt que ceux des forêts, ou ceux de l’Europe plutôt que ceux de l’Amazonie… Notre vision reste donc très imparfaite et partiale !

On recherche à mesurer trois indicateurs : l’abondance (le nombre des insectes présents, par espèces), la biomasse (tous insectes confondus), qui présente l’inconvénient de compter ensemble et de façon indistincte les insectes, et la biodiversité (le nombre d’espèces existantes, ce qui suppose de savoir les reconnaître !). Dans les faits, on peut très bien noter que certaines espèces peuvent voir leur population augmenter, au milieu d’un déclin général, parce qu’elles sont généralistes, adaptables à divers environnements… ou prédatrices des autres.

Beaucoup se méfient des insectes, comment fait-on pour les éradiquer ?

Les insectes nous faisaient peur au XIXe siècle : on y cultivait « l’entomophobie » (crainte que « d’origine » et les insectes « invasifs » la pullulation des insectes ne puisse faire disparaître l’humanité), ce qui était à la mode, c’était « l’ornithophilie » (protection des oiseaux insectivores qui étaient alors les seuls remparts au danger des insectes). C’était avant que l’on invente les insecticides, beaucoup plus efficaces …beaucoup trop !

NUAGES DE CRIQUETS À MADAGASCAR. © MICHEL LECOQ, WIKIMEDIA COMMONS, CC BY-SA 4.0

Il faut dire que, parfois, cette crainte reste justifiée et crédible. En Afrique, chaque décennie, on doit affronter des nuages de criquets pouvant couvrir 2 400 km2  et rassembler 200 milliards d’individus, qui mangent littéralement tout sur leur passage, l’équivalent de la nourriture consommée par 80 millions de personnes, provoquant de graves famines. Ne croyons pas que l’Europe ne sera jamais concernée par ce désastre, surtout avec le dérèglement climatique : en 1748, les criquets sont arrivés jusqu’à la Pologne, la Hongrie et l’Angleterre !

Affronter des hordes de fourmis carnivores ou un nid de frelons n’a pas non plus rien d’une partie de plaisir… 

Le moustique reste sans conteste le plus grand ennemi de l’Homme : il en tue environ 750 000 chaque année en lui transmettant des maladies comme le paludisme, la dengue, le chikungunya, le zika, etc. Beaucoup plus que l’Homme lui-même, qui s’entretue quand même à raison de 475 000 par an, et sans commune mesure avec le serpent (50 à 100 000 morts) le crocodile (quelques milliers), le lion, l’hippopotame et l’éléphant (quelques centaines) ou le requin, le loup et la méduse (quelques dizaines) !

NOMBRE APPROXIMATIF DE MORTS PAR AN DUES AUX ANIMAUX OU AUX HOMMES (GUERRES ET ASSASSINATS). COMPILATION DE DIVERSES SOURCES. PETIT, MAIS FORT DANGEREUX, LE MOUSTIQUE TUE CHAQUE ANNÉE PRESQUE DEUX FOIS PLUS QUE LES GUERRES ET LES ASSASSINATS RÉUNIS. © MOUSTIQUE JIM CATHANY CDC, WIKIMEDIA COMMONS, DP

De nombreux insectes sont aussi considérés par les agriculteurs comme nuisibles ou prédateurs, des ennemis à éradiquer. À ne pas confondre avec ceux qu’ils baptisent « auxiliaires de culture », parce qu’au contraire ils favorisent la production agricole.

 

La catégorie la plus importante, qui représente la moitié des insectes répertoriés, concerne les insectes phytophages, qui se nourrissent des plantes : au choix, ils peuvent manger les feuilles, les tiges, les racines, le pollen, les fleurs, les fruits, les graines, la sève, etc., et au passage, ils transmettent souvent des agents pathogènes. Malheureusement, il leur arrive de sauter d’un continent à l’autre, provoquant alors d’autant plus de dégâts qu’ils arrivent sans leurs propres prédateurs : par exemple, le phylloxera et le doryphore, arrivés d’Amérique du Nord ont pratiquement détruit l’un, le vignoble français, et l’autre, les cultures de pomme de terre au début du XXe siècle. Actuellement, la pyrale du buis et le charançon rouge du palmier (venus d’Asie) menacent directement ces deux arbres en France.

La lutte contre les insectes ravageurs des plantes est donc souvent indispensable, d’autant plus que le coût des différents moyens destinés à limiter leur propagation est souvent très inférieur au coût des dégâts causés par une invasion. On utilise actuellement divers insecticides souvent carrément dangereux également pour d’autres animaux, voire pour l’Homme. De plus, ils multiplient souvent les « dégâts collatéraux » par exemple, ils détruisent au passage les pollinisateurs qui, eux, sont absolument indispensables…

LES INSECTICIDES NÉONICOTINOÏDES, QUI CIBLENT LE SYSTÈME NERVEUX DES INSECTES, SONT DANS LA LIGNE DE MIRE DE L’EFSA, CAR ILS POURRAIENT ÉGALEMENT AFFECTER NOTRE PROPRE SYSTÈME NERVEUX AUX DOSES AUXQUELLES ON LES RETROUVE DANS L’ENVIRONNEMENT. © JOOST J. BAKKER, WIKIPÉDIA, CC BY-SA 2.0

C’est pourquoi on cherche activement d’autres voies : quarantaine pour les importations, lutte biologique, épandage d’insectes stériles, lâcher de prédateurs naturels, répulsifs, plantes génétiquement modifiées, piégeages, rotation plus importante des cultures, travail du sol, irradiation, etc. Mais elles sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre, plus coûteuses et souvent moins efficaces (à court terme pour les agriculteurs).

Le défi de se débarrasser de la plupart des insectes dits « nuisibles » tout en conservant au maximum les autres est une des principales questions scientifiques de notre époque, et nous n’avons pas beaucoup de temps pour le relever !

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