Les sécheresses et autres phénomènes climatiques extrêmes ne menacent pas seulement les vies humaines, mais aussi la sécurité alimentaire. Et pour un continent comme l’Afrique, où les pratiques agricoles sont peu rentables, la facture est davantage salée. Dans la corne de l’Afrique, le Programme alimentaire mondial (PAM), estime à au moins 20 millions le nombre de personnes exposées à un risque de famine, en raison de la sécheresse. Comme alternative, des scientifiques proposent une agriculture à la fois rentable, durable et résiliente au climat.
En Afrique, la sécurité alimentaire est davantage menacée par des phénomènes climatiques extrêmes, notamment les sècheresses et les inondations. Si en absence de ces phénomènes, les rendements agricoles sont déjà insuffisants pour une population sans cesse croissante (2,1 milliards d’habitants d’ici à 2050, selon les Nations unies), ces rendements sont encore plus faibles, dans ce contexte marqué par le changement climatique. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) au moins 20 millions de personnes, dans la corne de l’Afrique, sont exposées depuis l’année dernière, à un risque de famine, en raison de la sécheresse qui s’aggrave au Kenya, en Somalie et en Éthiopie.
Aborder la problématique de la sécurité alimentaire passe avant tout par l’analyse de la production agricole. Elle reste l’une des variables déterminantes, puisqu’elle affecte jusqu’à la ration alimentaire moyenne par habitant. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre 1960 et 2000, la production alimentaire par habitant a augmenté partout dans le monde, sauf en Afrique subsaharienne. Bien que le continent détienne 12 % des terres arables de la planète, sa part dans le commerce mondial des produits agricoles a décliné de 10 % en 1960 à 2 % aujourd’hui. Sa balance commerciale agricole, équilibrée jusqu’en 1980, s’est dégradée en raison d’importations alimentaires (riz, huile, blé).
Pour la FAO, les rendements des cultures alimentaires en Afrique subsaharienne sont faibles, particulièrement à cause d’un manque d’apport d’intrants organiques et minéraux. Seulement de l’ordre de 10 kg d’engrais par hectare et par an, soit 20 fois moins que dans les pays industrialisés et 10 fois moins que la moyenne mondiale. Il en est de même du plantage des arbres pour recycler les éléments minéraux et fixer l’azote de l’air, de la création des retenues collinaires, de l’irrigation des plantations et de la réduction des pertes de stockage.
L’impact additionnel du climat
La sécurité alimentaire est davantage compromise en Afrique, lorsque les conséquences d’une agriculture peu rentable, s’ajoutent à celles des manifestations météorologiques extrêmes.
Les sécheresses, les inondations, la hausse du niveau des mers et les ouragans ont un impact négatif sur les moyens de subsistance de l’homme. Car ces phénomènes détruisent les récoltes, le bétail, les ressources halieutiques, les écosystèmes ainsi que les infrastructures qui sous-tendent l’agriculture, l’élevage et la pêche, sans compter des installations de production tels que les systèmes d’irrigation et les abris pour le bétail. Un phénomène qui se manifeste avec plus d’acuité en Afrique, où les systèmes d’alerte aux catastrophes climatique sont insuffisants. Le rapport «État du climat en Afrique 2021» publié par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), indique que 60 % de la population africaine n’est pas couverte par des systèmes d’alerte précoce pour faire face aux phénomènes météorologiques extrêmes et au changement climatique.
La Banque africaine de développement (BAD) indique que plus de 90% de l’agriculture africaine repose sur les précipitations. Ce qui en fait le secteur économique le plus vulnérable et le plus exposé aux impacts du climat. L’inquiétude est plus grande, lorsqu’on évoque les prévisions de la BAD. Selon l’institution financière, les phénomènes climatiques extrêmes tels que les sécheresses, les inondations, les stress thermiques et les cyclones tropicaux vont s’intensifier et se multiplier. Dans certains cas, les extrêmes climatiques d’aujourd’hui pourront être le temps «normal » de demain. Par ailleurs, l’élévation du niveau de la mer va menacer l’importante population côtière de l’Afrique. Ces impacts ne mettront pas seulement en péril le bien-être et les moyens de subsistance des populations, ils endommageront l’environnement et l’économie.
Plus de la moitié des personnes vivant dans la pauvreté sont en effet des petits exploitants agricoles. Selon la BAD, ces derniers fournissent pourtant 80 % de la nourriture consommée dans la région. C’est dire combien le changement climatique, auquel sont confrontées des centaines de milliers de paysans africains, fragilise les économies locales et accentue l’insécurité alimentaire.
Il est dès lors évident pour les agriculteurs, les éleveurs, et les pêcheurs africains, que s’adapter au changement climatique revient à s’assurer la sécurité alimentaire.
Aller au-delà d’une agriculture résiliente au climat
La garantie de la sécurité alimentaire en Afrique en contexte de changement climatique devrait prendre en compte les paramètres de productivité, de durabilité et d’adaptation au changement climatique. La FAO pense qu’une bonne partie de la solution est à rechercher dans les différents secteurs qui composent l’agriculture, notamment la foresterie, les pêcheries et l’aquaculture. « Nous avons le devoir de renforcer la sensibilisation à la sécurité alimentaire et renforcer l’engagement politique à tous niveaux; élaborer une analyse de données sur les impacts et les possibilités offertes aux différents secteurs agricoles et la mettre à disposition des décideurs politiques comme des petits paysans; renforcer les investissements, la recherche et le développement pour bâtir la résilience et faire face aux impacts des changements climatiques qu’on anticipe », explique la FAO.
Le rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) demande un modèle « d’adaptation par la transformation» qui «modifie les attributs fondamentaux d’un système en réponse au climat et à ses impacts. ». Il faut néanmoins relever qu’aujourd’hui en Afrique, il existe des cas isolés, de pays qui reconnaissent les bénéfices de l’usage durable de la terre, d’une agriculture rentable et résiliente au climat. C’est le cas de l’Éthiopie, du Kenya et du Rwanda, qui ont déjà mis des plans en place.
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En Éthiopie, le gouvernement a mis sur pied la stratégie d’économie verte et résiliente au climat. Le programme vise à faire atteindre au pays le statut de pays à revenu moyen d’ici à 2025 tout en développant une économie verte. Ses quatre piliers sont l’amélioration des récoltes et des pratiques de production du bétail ; la protection et la replantation des forêts; l’augmentation de la génération d’énergies renouvelables; et le passage direct à des technologies économes en énergie pour les transports, l’industrie et la construction.
Le plan de résilience climatique à faible émission de carbone du Kenya est intégré dans le plan national de développement, Kenya Vision 2030. Le pays d’Afrique de l’Est a remplacé les modèles traditionnels de développement fondés sur le PIB par un nouveau modèle incorporant les dimensions sociales des progrès du développement. Les petits exploitants agricoles kenyans sont encouragés à adopter des systèmes agricoles résistant au changement climatique comme l’agroforesterie, l’agriculture sans labour et la diversification des cultures pour assurer la sécurité alimentaire.
L’approche d’agriculture verte résiliente au climat du Rwanda s’inscrit dans une démarche d’ensemble qui combine la création de richesse durable et la réduction de la pauvreté, grâce à une gestion durable des ressources naturelles et à une croissance économique résiliente au climat et verte. Cela passe par la réduction de la pauvreté, d’une part en autonomisant les ruraux pauvres, hommes et femmes, afin qu’ils participent à la transformation du secteur de l’agriculture et au développement rural, et d’autre part en réduisant leur vulnérabilité aux changements climatiques. Le Rwanda s’était engagé à consacrer 10% de son budget à l’agriculture, pour assurer une croissance de 6% à ce secteur.
En Afrique de l’Est et de l’Ouest où la question de la sécurité alimentaire se pose avec acuité, les experts conseillent aux communautés rurales, l’adoption de cultures mixtes et en terrasses. « Cela passe notamment par une diversification des cultures (maïs, légumes, etc.), une meilleure irrigation et par un accès facilité aux semences et aux espèces les plus résistantes au changement climatique », explique Tamer El-Raghy, le fonds de capital-risque ARAF (Acumen Resilient Agriculture Fund) qui intervient dans plusieurs pays d’Afrique touchés par le changement climatique.
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