Ce que l’on tient parfois pour évident peut s’avérer trompeur. Le planisphère le plus utilisé – la projection de Mercator – déforme la superficie des continents. Conséquence? Notre perception de la planète est biaisée et erronée! Il est temps d’y remédier.
C’est le planisphère de toutes les écoles, de tous les atlas. Celui qui, depuis le XVI e siècle, façonne notre représentation mentale – et coloniale – de la planète. Une Terre où l’Afrique n’est guère plus vaste que le Groenland, et à peine deux fois plus que l’Europe. En réalité, cette perception des superficies est fausse. Le continent africain, avec ses 30,37 millions de km2, est trois fois plus grand que l’Europe (10,53 millions de km2 jusqu’à l’Oural), et quinze fois plus que le Groenland (2,16 millions de km2 ) ! Ce dernier est même moins imposant que la seule République démocratique du Congo (2,34 millions de km2 ). Si vous avez un doute, consultez le site Thetruesize.com : cette carte interactive a été créée pour s’affranchir de nos représentations déformées. Vous irez de surprise en surprise! Et vous prendrez conscience de la taille réelle de l’Afrique…
La projection dite de Mercator, élaborée par le cartographe du même nom, déforme les superficies des continents à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur et que l’on se rapproche des pôles. Situées le long de la ligne équatoriale, l’Afrique et l’Amérique du Sud se montrent plus modestes qu’en réalité. Quant à l’Europe, placée dans l’hémisphère nord, elle apparaît plus grande. Cette distorsion s’exerce également entre pays européens, suivant leur latitude : la Finlande y figure par exemple trois fois plus importante que l’Italie. En fait, le pays nordique pourrait presque entièrement enfilerla botte de la Méditerranée, les deux États étant de taille comparable (338450 km2 et 301340 km2 ). Et que dire de Svalbard, cet archipel polaire au nord de la Scandinavie? S’il semble aussi gros que la République démocratique du Congo, il est, avec ses 62045 km2, à peine plus vaste que le Togo (56 790 km2 ) ! Idem sur le continent américain, étendu de part et d’autre de l’équateur, jusqu’aux confins du pôle Nord, et dont la pointe méridionale frôle l’Antarctique. L’Alaska semble avoir trois fois la taille du Mexique, alors qu’il est en fait plus petit que le voisin méridional des États-Unis: 1,71 million de km2, contre 1,96 million de km2 ! Mais c’est sans conteste l’Afrique, au centre du planisphère, qui s’avère la plus pénalisée par la distorsion polaire de cette projection. Le continent pourrait en réalité avaler l’Europe, les États-Unis (8,12 millions de km2, sans l’Alaska), la Chine (9,56 millions de km2 ) et même l’Inde (3,28 millions de km2 ). Sauf que la plupart des Africains l’ignorent, leur vision du monde ayant été façonnée par le planisphère punaisé en classe.
Le site The True Size permet de comparer la taille des pays entre eux. Ci-dessous, les États-Unis (bleu), l’Inde (jaune) et la Chine (orange) superposés à l’Afrique.https://thetruesize.com/
À L’ORIGINE DES TRACÉS, LE COMMERCE TRIANGULAIRE
Alors, comment expliquer une telle déformation? Tout simplement parce que la Terre est ronde. Transposer une sphère sur une surface plane relève du casse-tête–amusez-vous à faire l’expérience avec une pelure d’orange ! Au XVI e siècle, alors que l’Europe conquiert le monde et colonise l’Amérique, ses navires contournent l’Afrique dans le but de gagner l’Asie des épices. Ils traversent l’Atlantique dans tous les sens afin de se livrer au commerce triangulaire, c’est-à-dire à la traite… Les capitaines ont donc besoin de cartes fiables. Or, la rotondité de la planète leur pose problème: le chemin le plus court entre, disons, Bristol et Boston consiste en un arc de cercle. Afin de suivre une route exacte, un navigateur doit constamment corriger l’angle de la direction suivie. Sinon, il risque de débarquer dans un port plus éloigné que prévu. Autant dire un aller simple pour la mort ou la captivité, car les réserves d’eau douce et de nourriture sont limitées, et les royaumes européens sont en guerre les uns contre les autres… En Flandres, en 1569, le cartographe Gerardus Mercator (1512- 1594) conçoit un planisphère où les courbes de navigation sont dessinées en ligne droite. Sa mappemonde a le mérite de respecterl a forme des îles et des continents et limite les erreurs de navigation, mais en distord les superficies à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur. Sauf qu’à l’époque, ceux qui lisent ces cartes s’en contrefichent: ils sont blancs. Et les terres rétrécies sont peuplées de colonisés et d’esclaves…
Le souci est que la projection de Mercator s’est imposée bien au-delà de l’ère coloniale. Elle persiste à façonner nos imaginaires, nos perceptions du monde. Cette carte aberrante demeure celle des livres scolaires, des salles de classe et des atlas. Les écoliers africains grandissent donc avec l’impression – dévalorisante – que leur continent tout entier est moins grand que le Groenland! «En élargissant l’Europe et l’Amérique du Nord, la projection de Mercator a donné aux nations blanches un sens de la suprématie», constatait le géographe allemand Arno Peters (1916-2002). En 1974, il proposa sa projection, plus respectueuse des superficies. La ville de Boston a décidé, en 2017, de n’utiliser dans ses écoles que celle-ci, dans le but de débarrasser les enfants, notamment afro-américains, d’une vision biaisée et ethnocentrée. Reste que la projection de Peters n’est pas plus conforme à la réalité: les continents y paraissent amincis, donnant l’impression ridicule qu’ils se sont infligé une cure d’amaigrissement pour rentrer dans un pantalon taille 36 ! La solution serait peut-être d’intégrer le fait que, la Terre étant ronde, tout planisphère induit en erreur, comme le ferait un miroir déformant… Et qu’il n’existe qu’une seule et unique représentation fidèle de notre planète : le globe terrestre.
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