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Pollutions industrielles : On luttait déjà contre certaines « nuisances » au XIXe siècle

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MOBILISATION Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Ce mercredi, un universitaire raconte les premières oppositions aux « altérations des milieux naturels »

La dissolution du collectif « Les Soulèvements de la Terre » met en lumière la dimension fondamentalement conflictuelle de la question écologique. Les enjeux inédits que sont le réchauffement climatique ou l’effondrement de la biodiversité inspirent des nouvelles formes de luttes, mais les combats contre la détérioration de l’environnement ont une longue histoire.

Durant celle-ci, l’industrialisation, croissante à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, a été une étape majeure : la mécanisation, l’organisation rationnelle du travail dans des unités de fabrication et l’emploi d’une quantité de plus en plus grande d’énergie ont permis l’augmentation de la production, mais ce faisant, les impacts environnementaux se sont considérablement aggravés.

La prudence environnementale à la charnière des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles

L’industrialisation concerne d’abord quelques territoires localisés, notamment dans le nord de la France et en Belgique francophone, où les industries textile, houillère et métallurgique connaissent un essor précoce. Ces activités sont de plus en plus des sources de nuisances, comme les recherches récentes en histoire environnementale l’ont établi.

À l’époque, ce sont les termes de « nuisance », de « corruption » ou d’« insalubrité » qui sont utilisés pour parler de l’altération des milieux naturels, celui de « pollution » ne s’imposant qu’au XXe siècle.

De même, le mot « environnement » n’est pas encore employé dans son sens actuel : il désigne simplement les environs, les alentours. À la place, les sources mentionnent plutôt « les airs », « les eaux » et « les lieux ». Ce vocabulaire est issu de la médecine néo-hippocratique, qui postule que l’état de santé des individus est déterminé par la qualité de leur cadre naturel de vie.

Jusqu’au début du XIXe siècle, les nuisances sont régulées à l’échelle locale : les édiles cherchent à les limiter en éloignant des habitations les activités potentiellement nocives. À Lille, par exemple, une loi du 31 octobre 1771 interdit aux raffineurs de sucre de conserver l’eau de leurs raffineries à domicile ou dans des puits, car cette eau pourrait être une cause de contamination.

Dans certains cas, les autorités n’hésitent pas à détruire les usines ou les ateliers s’ils nuisent excessivement à l’environnement, même lorsqu’ils sont à l’écart des villes. Ainsi, le 17 novembre 1805, les habitants d’un hameau près de Havay, dans la région de Mons, adressent une pétition au préfet du département de Jemappes (la Belgique fait alors partie du Premier Empire français).

Leur but est d’empêcher un certain André Blanchard d’établir une tannerie susceptible de corrompre l’eau dont les habitants bénéficient. La tannerie, en effet, consiste à transformer des peaux d’animaux en cuir, et pour cela, les peaux sont lavées à même les cours d’eau. Le préfet comprend la demande des pétitionnaires et ordonne la démolition de l’atelier de Blanchard.

Le décret de 1810 : une loi au service de l’industrie

Le 15 octobre 1810, le gouvernement du Premier Empire décide de centraliser la régulation des nuisances en promulguant un décret sur les établissements incommodes et insalubres.

Ce texte de loi oblige les capitaines d’industrie à demander une autorisation administrative avant de créer une fabrique. Ils doivent s’adresser au Conseil d’État pour les fabriques de première classe, c’est-à-dire les plus insalubres (ce sont par exemple les usines de soude artificielle, produit nécessaire aux savonneries), et à la préfecture pour celles appartenant aux deuxième et troisième classes.

Les premières doivent être « éloignées des habitations particulières », tandis que les autres ont droit de cité, à condition d’être rigoureusement surveillées par la police. Du reste, la loi prévoit que les fabriques de deuxième classe fassent l’objet d’une enquête dans le voisinage, appelée « information de commodo et incommodo » (expression latine qui signifie « avantage et inconvénient ».)

Ce décret, qui a durablement marqué les législations française et belge, donne donc aux habitants la possibilité de se plaindre des nuisances industrielles. Néanmoins, il n’est contraignant qu’en apparence, car les autorisations sont facilement délivrées par les instances administratives, y compris en ville et pour des établissements de première classe.

Ainsi, à Roubaix, le cœur de l’industrie textile en France, on trouve dans les sources disponibles environ 720 demandes d’autorisation entre 1812 et 1871. Une cinquantaine a suscité des plaintes et des oppositions, et seule une vingtaine n’a pas été autorisée. Quant aux établissements déjà installés, leur démantèlement est devenu quasi impossible car les autorités soutiennent pleinement les intérêts industriels.

Comme l’ont montré les historiens François Jarrige, Thomas Le Roux ou Jean-Baptiste Fressoz, au cours du XIXe siècle, les élites politiques, économiques et scientifiques ont tendance à minorer les impacts environnementaux et sanitaires de l’industrie. Celle-ci est alors assimilée au « progrès » et à la « civilisation ».

Peu à peu, les habitants n’ont d’autres choix que de s’habituer à la nouvelle atmosphère industrielle.

En témoigne ce propos d’un expert en salubrité examinant l’insalubrité de l’eau à Valenciennes, le 17 janvier 1860 : s’adressant au préfet du Nord, il affirme que les personnes qui vivent à proximité de la rivière Balhaut, où s’écoulent les déchets des sucreries, n’ont pas à se plaindre car « en venant s’établir sur un pareil cours d’eau ils devraient s’attendre à n’avoir pas toujours de l’eau claire. »

« À bas les cheminées ! »

Pourtant, les nuisances ne cessent de générer des plaintes et, parfois, des conflits violents, comme dans la région de la Basse Sambre au milieu du XIXe siècle. Dans cette région rurale, située entre Namur et Charleroi, trois usines de soude se sont installées dans les années 1849-51. Très vite, leur présence a été contestée par les riverains : les fumées qu’elles exhalent empoisonneraient les plantes, les cultures, le bétail et les êtres humains.

D’après l’historien Julien Maréchal, qui a précisément étudié ce cas, la plupart des savants belges se sont opposés aux « préjugés populaires » contre l’industrie chimique.

Entre le 14 et le 19 août 1855, des centaines de personnes, peut-être même des milliers à croire certains journaux, se sont rassemblées pour protester contre une des trois usines, située dans la commune de Floreffe.

La presse rapporte que des cultivateurs ont menacé de détruire l’établissement en criant « À bas les cheminées ! » Le 19, à Auvelais, non loin de Floreffe, l’armée tire sur des manifestants : deux personnes sont tuées, une autre est blessée. L’ordre est revenu, les cheminées continuent de fumer.

En Belgique comme en France, le pouvoir politique promeut constamment l’industrie au détriment de l’environnement. Le 29 janvier 1863, un arrêté royal belge allège la législation héritée du décret de 1810 (les demandes d’autorisation sont accordées plus rapidement).

Deux ans plus tard, le gouvernement de Napoléon III adopte un décret pour que les machines à vapeur ne soient plus comptées parmi les établissements incommodes et insalubres.

De part et d’autre de la frontière, les autorités parient sur le développement technologique pour amoindrir les nuisances. Les industriels sont encouragés à doter leurs usines de « fourneaux fumivores », capables de « brûler » la fumée. Cependant, ce « solutionnisme technologique » avant l’heure s’avère inefficace, et les plaintes s’accumulent en étant rarement entendues.

L’histoire de l’industrialisation et de ses conséquences environnementales est traversée de doutes, de tensions et de conflits. À l’origine combattues par les élites dirigeantes, les nuisances ont été finalement considérées comme un dommage acceptable du « progrès ».

Malgré tout, nombreux sont les habitants à avoir refusé la contamination de leur milieu de vie. Pour reprendre la formule frappante du sociologue et militant Razmig Keucheyan, « la nature est un champ de bataille ».

 

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