Dans un contexte de pressions croissantes sur les finances publiques, marqué par une dette souveraine en hausse et des budgets nationaux souvent sous tension, les États d’Afrique de l’Ouest explorent de nouvelles pistes de financement. La finance islamique, et en particulier les sukuks, apparaît aujourd’hui comme une alternative stratégique. C’est dans cet esprit que se tiendra les 23 et 24 juin 2025 au King Fahd Palace de Dakar la 10e édition du Forum International sur la Finance Islamique de l’Afrique de l’Ouest (IFF West Africa 2025), un rendez-vous devenu incontournable pour les acteurs publics et privés de la région.
Le forum a pour ambition de repositionner les sukuks et les instruments participatifs comme des solutions de financement innovantes, adaptées aux défis du développement africain. À l’échelle mondiale, l’encours des sukuks atteint actuellement 788 milliards de dollars, majoritairement concentrés dans les pays du Golfe, d’Asie du Sud-Est et au sein des fonds islamiques. Ce chiffre impressionnant illustre un potentiel financier encore largement inexploré par les pays d’Afrique de l’Ouest, qui n’en captent qu’une infime portion. Selon les données du cabinet ivoirien Abbas Chérif, les émissions cumulées de sukuks souverains sur le continent ne dépassent pas 5 milliards de dollars, soit seulement 0,7 % du marché global.
Cette sous-représentation ne tient pas à un manque d’intérêt, mais plutôt à des obstacles techniques, réglementaires et structurels. Pourtant, les avantages offerts par les sukuks sont multiples. Contrairement aux obligations classiques, ces titres sont adossés à des actifs réels, excluent le paiement d’intérêts et reposent sur des principes de partage des risques et des profits. Ils s’inscrivent dans une logique de finance éthique et inclusive, de plus en plus recherchée à l’échelle mondiale, notamment auprès des investisseurs institutionnels soucieux d’aligner leurs portefeuilles sur des critères ESG (environnement, social, gouvernance).
La tenue du forum de Dakar constitue une étape décisive dans le développement d’un marché régional des sukuks. Cette année, l’accent sera mis sur deux axes stratégiques sur le financement des infrastructures à travers des sukuks souverains et le soutien au tissu des PME grâce aux instruments participatifs islamiques. Ces derniers permettent d’associer investisseurs et entrepreneurs dans une logique de co-développement, souvent mieux adaptée aux réalités économiques africaines où les petites et moyennes entreprises forment l’essentiel du tissu productif.
Lors d’une récente intervention à la deuxième édition des Rencontres de l’Association Professionnelle des Sociétés de Gestion et d’Intermédiation (APSGI) de l’UEMOA, Mouhamadou Lamine Mbacké a souligné l’urgence de développer un marché des sukuks en monnaie locale, notamment pour financer des secteurs prioritaires comme l’immobilier. Il a salué les efforts de l’Autorité des Marchés Financiers de l’UEMOA (AMF-UEMOA), qui œuvre à l’élaboration d’un cadre réglementaire favorable à l’émergence d’un écosystème de la finance islamique dans la région.
Les enjeux économiques sont considérables. Selon la Banque islamique de développement (BID), le marché global de la finance islamique pourrait atteindre 3 500 milliards de dollars d’actifs d’ici 2026. Dans le même temps, les besoins de financement des pays d’Afrique de l’Ouest pour la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable sont estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars, d’après un rapport conjoint du FMI et de la Banque mondiale publié en 2024. Les sukuks, par leur structuration fondée sur des projets concrets, peuvent répondre à cette double exigence de financement massif et de viabilité économique.
Le forum de Dakar réunira des institutions fondamentales telles que la Banque africaine de développement (BAD), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) et la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC). Ensemble, elles étudieront les conditions de mise en place de programmes d’émissions de sukuks en devises locales, en partenariat avec les régulateurs et les acteurs du marché.
La finance islamique offre aujourd’hui à l’Afrique de l’Ouest l’opportunité de bâtir un modèle financier autonome, résilient et aligné sur ses valeurs culturelles et religieuses. À travers une stratégie régionale coordonnée, un environnement réglementaire adapté et une volonté politique affirmée, les sukuks peuvent devenir un véritable catalyseur de croissance, de souveraineté économique et de transformation structurelle du continent. Le rendez-vous de Dakar s’annonce comme un moment essentiel pour poser les bases d’une nouvelle ère de financement du développement africain.
Par Zaynab SANGARÈ, Sénégal
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